Les bottes suédoises
Fredrik Welin vit reclus sur une île de la Baltique dans une maison héritée de ses grands-parents. Un automne où le froid s'installe précocement, un violent incendie détruit entièrement la maison, ne lui laissant qu'une paire de bottes dépareillées. A l'aube de ses 70 ans, il se retrouve à nu, démuni d'un toit mais surtout de tous ces objets d'un passé lointain qui accompagnaient sa vie et la définissaient. Comment vivre encore ? pourquoi vivre encore ? et comment se réinventer ? Face au désastre, l'occasion lui est offerte de se retourner sur ses souvenirs et les évènements majeurs de sa vie : le choix idiot de devenir chirurgien pour plaire à son père; l'opération râtée qui a vu une jeune fille perdre son bras et l'a exilé sur son île; ses grands-parents taiseux, rudes qui lui ont montré une certaine image de l'amour; sa femme Harriet qui l'a quitté pour revenir mourir à ses côtés 40 ans plus tard, lui révélant qu'il a une fille; sa fille, Louise, qui a 37 ans et avec laquelle il ne sait comment dialoguer ... La présence de cette dernière et celle de Lisa, une journaliste venue pour un article sur l'incendie et avec laquelle une relation se noue, vont lui donner l'énergie pour croire en un avenir, un futur autre que la déchéance de la vieillesse ... une volonté de vivre et la conscience neuve de ne pas gaspiller le temps. Il gagnera de n'avoir plus peur de l'obscurité fatale.
L'ultime roman de l'auteur baigné de mélancolie parce qu'il nous dit la fuite du temps, l'inéluctabilité de la mort mais aussi le bonheur d'aimer. Un style lumineux comme un souffle de liberté.
Fils du feu
Jérôme, le narrateur, se souvient de ses cinq ans et de ce jour où un terrible évènement a transformé irrémédiablement la vie de sa petite famille, modeste famille de ferronniers d’art dans la France profonde. Autant de scènes vives et puissantes d'émotions qui, plus que la perte d'une France qui n'est plus disent ce qu'est la perte de l'enfance, une perte ici dans la violence de la mort. Jérôme raconte comment il a grandi, comment il a appris le temps et les changements qu'il provoque - parfois bien malgré nous -, comment il a accueilli les leçons de la vie, notamment celle-ci, féroce : on peut survivre avec la moitié d'un coeur. Il nous dit l'universalité du chagrin, ce qu'il blesse en nous, ce qu'il peut changer aussi. Une belle écriture, visuelle et charnelle, un festival de vocabulaire aux énumérations joyeuses pour ce roman, sommet de sensibilité et d’humanité.
Boussole ***
Franz Ritter, obscur professeur de musicologie à l'Université, bientôt quinquagénaire et jamais marié, cherche le sommeil dans son petit appartement de Vienne, encombré de livres et de bibelots. Sarah recommence à lui envoyer des courriels. Elle lui soumet depuis le Sarawak le premier jet de son dernier article, "Le vin des morts", une écoeurante pratique pour laquelle elle se passionne. Sarah la rousse anthropologue, Sarah la parisienne qui parle parfaitement l'arabe et le farsi, Sarah l'auteur de "L'orientalisme est-il un humanisme ?", Sarah, l'éternelle étudiante, qu'il a rencontrée à Istanbul et retrouvée tout au long de quinze ans de voyages et d'études à Alep, Damas, Palmyre, et Téhéran...
Les rêveries de Ritter, ses éternels regrets, son érudition, sa cuistrerie parfois, nous saoulent et nous hypnotisent. Sa maladresse nous fait sourire, sa gaucherie nous touche et nous agace, sa sincérité nous émeut, et l'on en vient à souhaiter ardemment que dans son prochain courriel Sarah annonce son retour.
Enard réussit à maintenir l'intérêt des lecteurs (un peu persévérants tout de même) grâce à un métier d'écrivain consommé. A la suite de Goethe, Hugo, Mardrus, Pessoa, Burton, Hedayat, Khayyam et de tant d'autres, les amateurs de voyages et les curieux d'histoire et de littérature prendront plaisir à revisiter dans BOUSSOLE tout ce qui fascine les occidentaux dans l'Orient - où que celui-ci se trouve, puisque l'on est toujours à l'Occident de quelque chose ou de quelqu'un.
Ma vie de pingouin **
Pétillante étude de moeurs menée au pas de charge par l'auteure du "Mec de la tombe d'à côté". La croisière s'amuse et nous aussi, tout au long du périple de ces quelques suédois de la middle class partis découvrir au départ des Malouines et à bord d'un ancien cargo russe converti au tourisme écologique tantôt l'Antartique et... ses manchots, tantôt l'amour, tantôt - en ce qui concerne Alba, l'alerte septuagénaire qui nous relate pour partie le voyage - la matière d'un petit essai ironique, "La ruine des espèces", par référence à Darwin, et qui est consacré celui-là à ses frères humains. A l'évidence, Katarina Mazetti a mis en scène son double fictionnel. Son livre fait penser à une version givrée d'Indian Palace, le film de John Madden.
Le diable tout le temps ****
Un père torture des chiens car il pense ainsi alléger les souffrances de la mère de son fils, un homme offre à sa femme des auto-stoppeurs, les photographie et les tue, un shérif tyrannise ses administrés et assassine les amants de sa soeur, un prédicateur pousse la chaise de son compagnon, handicapé et jaloux, d'une contrée à l'autre, d'un meurtre à l'autre... Et pourtant il émane de ces personnages monstrueux une humanité indéniable. Fascinant.