Tobie Lolness (édition intégrale) ****
Tobie Lolness habite l’Arbre. Normal, puisque Tobie mesure un millimètre et demi. Comme ses semblables, les bûcherons, les terrassiers, les éleveurs de pucerons. Comme son ancien ami l’implacable Léo Blue dont le pouvoir s’étend en même temps qu’il transforme en haine la peur des Pelés – les hommes de l’Herbe… Et comme Jo Mitch le puissant industriel qui a réduit le Conseil à un rôle honorifique.
Tobie a une dizaine d’années, il ne connaît que les Cimes, mais il a suivi ses parents dans leur disgrâce et apprend à aimer les basses Branches, les voisins Asseldor ou la solitaire Isha, et surtout sa fille la belle Elisha. Il sera fugitif, aventurier et rebelle tout au long de son adolescence que nous retrace Timothée de Fombelle, jeune auteur de théâtre dont ce premier roman d’abord publié en deux tomes a tout de suite trouvé sa place en 2006 dans les classiques de la littérature de jeunesse.
On y est tour à tour intrigué (l’arbre de Tobie est une métaphore politique et écologique de notre propre univers), passionné par les péripéties, émerveillé par les décors, ravi par les multiples destins individuels, et surtout ému par la profonde humanité du récit. Lequel, servi par une belle langue, maîtrise les digressions et retours en arrière et prend plus d’ampleur à chaque page.
A lire toutes affaires cessantes dans la réédition en un beau volume unique toujours servi par les illustrations magnifiques de François Place.
Oeuf **
Malgré l’affection qu’elle lui témoigne, Bernard, 9 ans, n’épargne vraiment pas sa grand-mère, chez qui il vit dans des conditions matérielles confortables depuis le décès de sa maman. Il est sombre, taciturne, renfermé. Tout va changer lorsqu’il rencontre Chloé, 13 ans, qui vit elle dans une roulotte avec sa mère, plus ou moins irresponsable et aux besoins de laquelle elle doit pourvoir.
Leur différence d’âge devrait les faire s’ignorer, mais puisque Bernard souffre de n’avoir plus de mère et Chloé d’en avoir trop, une improbable amitié – profonde - va se nouer entre ces deux éclopés.
Le Journal malgré lui de Henry K Larsen ***
Henry, 13 ans, ne connaît personne à Vancouver où ils viennent d’emménager son père et lui dans un appartement miteux après que celui-ci ait perdu son travail. Sa mère est restée dans la petite ville où ils étaient heureux, avant, quand Jesse était encore là et que tous les voisins étaient leurs amis. Maintenant Jesse est mort, Maman est à l’asile et Henry doit remplir ce bête journal parce que le psychologue le lui a demandé.
Il faut lire ce nouveau livre de la canadienne Susin Nielsen, qui a déjà publié deux autres romans pour adolescents chez Hélium («Dear George Clooney, tu veux pas épouser ma mère ?» et «Moi, Ambrose, roi du Scrabble») et a trouvé le ton juste pour évoquer un drame de nature à fracasser n’importe quelle famille (un fils de 16 ans qui tue son persécuteur du même âge puis se suicide dans l’école !).
Des personnages généreux, une construction maîtrisée, des dialogues ciselés, des moments de pure cocasserie, d’autres d’émotion… Et surtout la résilience inespérée d’un narrateur en souffrance, désemparé mais capable d’humour, que de nouveaux amis vont s’attacher à sauver jour après jour. Inoubliable.
Nanouk et moi ****
Le texte d’avertissement en lettres blanches sur fond noir à l’entame du documentaire «Nanouk l’ Esquimau» a bouleversé Thomas, 10 ans. «Mon lapin, lui avait dit son père, c’était en 1920. Tu ne peux pas être triste pour quelqu’un qui est mort il y a un siècle». Mais Thomas ressent si fort le lien qui l’unit à Nanouk et sa famille – n’y plus penser reviendrait à les trahir – que ses parents lui proposent d’en parler tous les mercredis au Docteur Z. Que Thomas va surprendre et toucher avec sa compréhension si simple et si profonde de la tristesse, de l’angoisse, mais aussi de l’amitié et de ce qui tout fait la valeur des êtres. Centré sur le deuil (comme un autre de ses livres, Pochée, en Mouche), le livre de Florence Seyvos rend meilleur, et sa lecture est mieux qu’une consolation : le souvenir émerveillé d’un ami.
Ma vie de pingouin **
Pétillante étude de moeurs menée au pas de charge par l'auteure du "Mec de la tombe d'à côté". La croisière s'amuse et nous aussi, tout au long du périple de ces quelques suédois de la middle class partis découvrir au départ des Malouines et à bord d'un ancien cargo russe converti au tourisme écologique tantôt l'Antartique et... ses manchots, tantôt l'amour, tantôt - en ce qui concerne Alba, l'alerte septuagénaire qui nous relate pour partie le voyage - la matière d'un petit essai ironique, "La ruine des espèces", par référence à Darwin, et qui est consacré celui-là à ses frères humains. A l'évidence, Katarina Mazetti a mis en scène son double fictionnel. Son livre fait penser à une version givrée d'Indian Palace, le film de John Madden.