A la mesure de l'univers
Nous retrouvons dans ce roman Ari, le personnage principal de "D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds". Ari est poète et éditeur, issu d'une famille de pêcheurs et d'écrivains dilettantes. il revient à Keflavík par devoir filial, son père étant gravement malade, son père avec lequel il n'a jamais vraiment partagé quoi que ce soit. Il s'était exilé au Danemark en raison de l'impossibilité de choisir entre deux amours, aussi pour se fuir lui-même. Ce retour en terre d'enfance sera l'occasion de savoir qui il est, de se redéfinir au contact des amis perdus de vue depuis trop longtemps, de trouver à dire ce qui compte vraiment.
Je suis une fan inconditionnelle de cet auteur profondément humain, qui a une connaissance fine de l'âme et du coeur. Il écrit avec poésie et générosité le temps qui passe, les deuils et les séparations, les trahisons, les mots tus et qui jamais ne seront dits, les gestes manqués et les chances à nouveau offertes pourvu que nous le voyions, la beauté et le caractère essentiel de l'amour.
"Peu de choses s'épanouissent dans l'ombre, et surtout pas l'être humain." p.229
Des hommes sans femmes
Un comédien se lie d'amitié avec le dernier amant de son épouse défunte et se demande pourquoi elle l'a trompé. Un chirurgien d'âge mûr ne désirant que de plaisantes relations dénuées d'engagement tombe éperdument amoureux et aura le coeur déchiré, au sens propre du terme, d'être quitté. Kino, hanté par l'image de sa femme surprise en plein ébats avec un autre, vide son coeur de toute émotion ...
Murakami est un maître dans l'art de la nouvelle. Chacune est ciselée et ne demande pas plus d'ampleur. Nous retrouvons dans ce recueil ses thèmes de prédilection : la solitude, le rêve, la mélancolie, la musique, le silence. Il nous plonge dans l'intime d'hommes qui n'ont pas su aimer ou ont trop aimé, nous parle du quotidien et de ses affres dans un style épuré, un quotidien mêlé d'onirisme. Et l'étrangeté toute murakamienne n'empêche pas la familiarité.
Une mère
Nous sommes à Barcelone, un soir de Saint-Sylvestre. Amalia, 65 ans, a enfin réussi à réunir sa famille pour ce passage à l'An nouveau. Sont présents Fernando, son unique fils, qui, depuis sa rupture avec son compagnon, évite la vie et les sentiments; Silvia, son aînée, meurtrie de ne pouvoir être mère; Emma qui, après une tragédie, a trouvé un équilibre; Eduardo, son frère, fantasque et souffrant de solitude.
"Bon sang, comment est-il possible que nous arrivions encore à nous entendre alors que chacun est un monde à lui tout seul, différent de l'autre et qui fonctionne en parallèle ?" p.86
Amalia, maladroite et excessive quand il s'agit d'elle-même, se révèle intuitive et perspicace pour débusquer, chez les personnes aimées, les douleurs tues et aplanir les tensions.
Une comédie aux tons nuancés, entre Woody Allen et Almodóvar. Il y a là tous les ingrédients de la vie : la tendresse, la fantaisie, la mélancolie, la tristesse, l'amour ... tout ce qui constitue les faces A et B des êtres.
"On ne peut pas trouver la paix en évitant la vie" in le film "The Hours"
L'endroit le plus dangereux du monde
Mill Valley, en Californie, région paradisiaque et huppée, est la scène d'un drame : Tristan Bloch, 13 ans, garçon secret, intelligent et solitaire, moqué sur Facebook parce qu'il a osé déclarer son amour à Callista, l'une des filles les plus populaires du lycée, se suicide. Quatre ans plus tard, Molly Nicoll, fraîche enseignante idéaliste et motivée, devient le professeur des adolescents à l'origine de la tragédie. Comment ont-ils grandi, entre insouciance et culpabilité ? L'envie de Molly de les protéger et de les guider aura-t-elle une influence sur leur vision du monde ?
Un premier roman captivant et juste, au parfum du "Cercle des poètes disparus", un petit théâtre de la cruauté adolescente, un reflet de notre société où, de plus en plus, la vie personnelle se définit à travers les réseaux sociaux.
La nature exposée ***
Erri De Luca nous fait entendre un autre de ses doubles, montagnard piémontais solitaire, vivant de ses souvenirs et de ceux qu'il taille pour les touristes tantôt dans une bûche, tantôt dans un caillou. La nuit, il fait passer des migrants de l'autre côté de la frontière. Et leur rend le prix de leur passage. C'est son secret. Percé à jour, il passe lui-même la montagne et doit trouver de quoi vivre : ce sera restaurer un christ en croix, pour l'église de la côte où il s'attarde. Et plus exactement ôter le drap ajouté pudiquement, jadis, au corps du supplicié. Lui rendre "sa nature". Une quête commence, sensible, intelligente, subversive. Du grand art.