L'âme des horloges
Une adolescente de 15 ans, amoureuse et rebelle, quitte sa famille pour vivre enfin sa vie… Scénario ordinaire qui vire au récit où l’extraordinaire apparait rapidement, mais toujours avec discrétion. David Mitchell, après Cloud Atlas, nous offre ici l’histoire d’une vie, celle de Holly Sikes, qui se retrouve au coeur d’un conflit intemporel, entre deux clans d’immortels. La guerre invisible entre ces factions semble au final peu de chose, au regard de la richesse d'une vie humaine.
Entre la jeunesse et le grand âge, nous suivrons Holly, parfois de près et parfois de très loin, Holly qui sera le témoin privilégié d’évènements inexplicables, inévitables peut-être.
Avec la Cartographie des nuages, l’auteur proposait une vision de l’humain et de son évolution un peu lointaine et froide. Il nous offre ici un roman plus intime, où le fantastique, contexte et prétexte à un sombre futur, nous amène à réfléchir aux choix qui créeront notre avenir.
Le pianiste de Hartgrove Hall
Harry Fox-Talbot vient d'enterrer celle qu'il a aimée pendant plus de cinquante ans, Edie, celle pour laquelle son amour fou lui a fait commettre une trahison qui le séparera de sa famille. Le manque douloureux se double d'une perte tout aussi terrible : Harry n'entend plus de mélodie en lui, les notes se sont tues. Il fût collecteur de chansons avant de devenir un compositeur célèbre, il est aujourd'hui sourd. Il écrivait, Edie chantait. Lorsqu'il découvre que Robin, son infernal petit-fils de quatre ans, est un prodige au piano, il décide de former son oreille musicale et par là même il replonge dans ses souvenirs qui le ramèneront vers Edie et la musique qu'il a perdue.
Un roman attachant et charmant - à l'image des précédents - qui parle de musique et de transmission, de la mémoire fondatrice et du pardon.
Dans une coque de noix
Dans l'Angleterre d'aujourd'hui un foetus raconte. Il écoute les bruits environnants (y compris la radio), goûte tout ce qu'absorbe son placenta et avant même de naître vit un drame shakespearien, témoin qu'il est du complot ourdi contre son père par Claude, son oncle, et Gertrude, sa mère. McEwan trousse un court roman à suspense décalé, dont le héros, Hamlet moderne et sagace, tente d'interpréter le monde avec les informations dont il dispose, forcément incomplètes. Métaphorique, sarcastique, prophétique et surtout, brillant (lire l'extrait ci-dessous)
(...) "Je reste éveillé, j'écoute, je m'instruis. Tôt ce matin, moins d'une heure avant l'aube, il y a eu quelque chose de plus sérieux que d'habitude. Véhiculé par le squelette de ma mère, un mauvais rêve sous la forme d'une conférence officielle. L'état du monde. Une spécialiste des relations internationales, une femme raisonnable à la voix chaude et profonde, m'a informé que la planète n'allait pas bien. Elle a évoqué deux états d'esprit courants : l'apitoiement sur soi et l'agressivité. Pris séparément, un mauvais choix pour un individu. Pris ensemble, au sein d'un groupe ou d'une nation, un breuvage toxique qui est monté récemment à la tête des Russes en Ukraine, et avant eux à celle de leurs amis serbes dans leur partie du monde. On nous a rabaissés, maintenant nous allons prouver de quoi nous sommes capables. L'Etat russe devenu le bras politique du crime organisé, une nouvelle guerre en Europe n'avait plus rien d'inconcevable. Tenez les divisions blindées prêtes à partir vers la frontière méridionale de la Lituanie, vers les plaines du nord de l'Allemagne. La même potion échauffe l'esprit des franges barbares de l'Islam. La coupe vidée, le même cri s'élève : on nous a humiliés, nous serons vengés !
La conférencière tenait en piètre estime notre espèce, dont les psychopathes représentent une fraction constante, un invariant humain. Juste ou non, la lutte armée les attire. Ils contribuent à transformer les rivalités locales en conflits à grande échelle. L'Europe, selon elle aux prises avec une crise existentielle, faible et désunie, alors que plusieurs variétés de nationalismes complaisants s'abreuvent à la même source. La confusion des valeurs, le bacille de l'antisémitisme qui couve, les populations d'immigrants qui croupissent dans la colère et l'ennui. Ailleurs, partout, de nouvelles inégalités, les super riches formant une race à part. Des trésors d'ingéniosité déployés par les États pour inventer des armes intelligentes, par les multinationales pour échapper à l'impôt, par les banques vertueuses pour se mettre des millions plein les poches. La Chine, trop vaste pour avoir besoin d'amis ou de conseils, qui sonde avec cynisme les rivages de ses voisins, construit des îlots de sable tropical, se prépare à une guerre qu'elle sait inévitable. Les pays à majorité musulmane victimes du puritanisme religieux, de la misère sexuelle, d'un étouffement de la recherche. Le Moyen-Orient, réacteur surgénérateur d'une éventuelle guerre mondiale. Et l'ennemi privilégié, les États-Unis, pas vraiment l'avenir de l'humanité, coupables de torture, esclaves de leur propre livre sacré conçu au temps des perruques poudrées, une Constitution aussi intouchable que le Coran. Leur population d'obèses anxieux, peureux, tourmentés par une indignation sans mots, méprisant le gouvernement, assassinant le sommeil avec chaque nouvelle arme à feu. L'Afrique qui doit encore apprendre le tour de passe-passe de la démocratie : la transmission pacifique du pouvoir. Ses enfants qui meurent par milliers chaque semaine, faute d'avoir le simple nécessaire : eau potable, moustiquaires, médicaments bon marché. Toute l'humanité unie et sur un pied d'égalité face à la vieille et triste réalité du changement climatique, de la déforestation, de la disparition de certaines espèces et des calottes glaciaires. Une agriculture rentable mais empoisonnée qui détruit la beauté du vivant. Les océans transformés en solution acide. Loin à l'horizon, mais approchant à grande vitesse, le tsunami pisseux d'une foule croissante de vieux, de cancéreux et de déments réclamant des soins. Et avec la transition démographique, bientôt l'inverse : une diminution catastrophique de la population. L'expression de moins en moins libre, la démocratie libérale qui n'est plus la destination évidente, les robots voleurs d'emplois, la liberté au corps à corps avec la sécurité, le socialisme déshonoré, comme le capitalisme corrompu et destructeur, aucune alternative en vue.
En conclusion, d'après la conférencière, ces désastres sont l'oeuvre de notre double nature. De notre intelligence et de notre puérilité. Nous avons construit un monde trop dangereux et compliqué pour être gouverné par notre tempérament querelleur. En désespoir de cause, tous les suffrages iront au surnaturel. C'est le crépuscule du deuxième âge de la raison. Nous avons été formidables, mais nous voilà condamnés. Vingt minutes. Coupez."
Sous la même étoile
Liat Benyamini a 29 ans, elle est Israélienne, licenciée en littérature anglaise et philologie. Elle a obtenu un visa pour étudier à New-York et y traduit des travaux scientifiques. Quelques mois après son arrivée, elle rencontre ´Hilmi Nasser, un artiste-peintre de 27 ans. L'attirance et l'entente sont immédiates et si intenses qu'ils ne se quittent plus. Le fait qu'il soit Arabe ne leur pose pas de problème, mais certains sujets sont inévitables et Liat hésite à dévoiler son amour à ses parents. L'amour peut-il résister au poids d'années de dissensions et de discours haineux ? L'amour peut-il faire naître le pardon ?
Un roman tout de finesse qui a soulevé moultes polémiques dans son pays, un roman salutaire.
Rêves de machines
Les mots et la mémoire sont-ils synonymes de conscience?
De 1663 à 2040, nous partageons les rêves et questionnements de cinq êtres humains à la recherche de l’interlocuteur parfait. Cette quête se confond avec la création puis l’évolution de l’intelligence artificielle.
De Mary Bradford à Alan Turing, de Karl Dettman à Stephen R. Chinn, nous comprenons peu à peu combien tous nous souhaitons être parfaitement écoutés et acceptés. A travers leur témoignage, nous ressentons leur solitude, leur désir d’osmose avec autrui, leur frustration de se découvrir, finalement, seul et incompris.
Un sixième point de vue, celui d’une poupée robot en route vers sa fin, pose également la question de la responsabilité de l’homme envers sa création, ici incomprise et rejetée.
La question reste ouverte: une machine n’est-elle qu’une machine si elle est douée d’une conscience? De même, certains humains qui en sont dépourvus méritent-ils encore leur statut d’êtres humains?
A la lecture de cet ouvrage de science-fiction plein de poésie, chacun se fera son opinion.